Les Flots Bleus
Lorsque le mardi 28 février 2oo6, les bulldozers démolissent la brasserie du 82, Corniche Kennedy, après des années de palabres, procédures et procès, c’est une institution chère à nombre de marseillais et de touristes qui disparait à jamais, sous les yeux de Zidane…
La brasserie des Flots Bleus est un établissement situé sur la Corniche à quelques encablures du Vallon des Auffes. Idéalement placé, dominant la mer, il offre ainsi à ses clients une vue magistrale sur les îlettes d’Endoume et l’archipel du Frioul. Construit dans la première partie du XXème siècle, il devient au fil des années une étape incontournable pour les touristes de passage, mais également pour les marseillais à la recherche d’une étape fraicheur ou pause repas entre les Catalans et David.
Dans ses dernières années d’exploitation, la brasserie est ouverte de 9 à 2 heures du matin, et ce, toute l’année. Elle dispose également d’un restaurant disposant de 40 couverts, avec une carte à partir de 15 €…Le trottoir longeant la grille le séparant de la mer, quelques dizaines de mètres plus bas, constitue sa principale terrasse. Les tables et chaises sont alignées ainsi en file indienne, le long de la rambarde, et autorisent une vue à couper le souffle sur le grand bleu.
A partir des années 90, la brasserie va connaître un regain de popularité grâce au…football. Certes, la personnalité d’un des deux co-gérants, très connu dans le monde du football attire déjà la clientèle de ce milieu. Mais en 1993, les caméras de TF1 investissent les lieux pour un journal de 13h dédié à l’Olympique de Marseille en présence de son emblématique président d’alors, Bernard Tapie. Désormais, les Flots Bleus seront une étape incontournable pour beaucoup de supporters en partance pour le stade, mais aussi après les matches pour disserter jusqu’à la fermeture des sempiternelles erreurs d’arbitrage…
Cinq années plus tard, c’est le footballeur Zinédine Zidane qui va involontairement mettre à nouveau en lumière la brasserie, à la recherche d’un nouveau souffle après la descente aux enfers de l’équipe de la ville. Suite à la victoire des bleus en coupe du monde, l’équipementier sportif Adidas investit les 143 m² de mur d’un immeuble faisant face à la mer…mais également à la brasserie. Cet affichage géant fera le tour du monde. Désormais, on vient voir le portrait du footballeur natif d’ici (même s’il n’a jamais porté le maillot blanc), et pourquoi pas boire une petite boisson de couleur jaune, ou plus si l’heure s’y prête, en contemplant le château d’If ou son idole.
Mais déjà, le spectre d’une fermeture commence à poindre. Cette menace ne date pas d’hier: déjà en 1928, la municipalité rachète les locaux dans le but de les détruire et ainsi dégager la vue vers la mer mais aussi de faciliter l’élargissement de la première partie de la Corniche. Mais, à l’orée des années 2000, elle se fait plus précise. Le bail n’est pas renouvelé, et la décision de détruire cet établissement mythique est décidée en haut lieu. Il s’ensuivra des mois de procédures, de recours, de palabres qui s’avèreront vaines en fin de compte. Les raisons de cette décision restent encore aujourd’hui incomprises par nombre de marseillais: la municipalité évoquera tour à tour la fragilité du bâtiment le rendant dangereux, la nécessité de rendre les abords de la mer aux marseillais (certains diront que du côté des Catalans, à quelques centaines de mètres, ce n’est pas vraiment le cas..), d’établir un aménagement paysager, de construire une buvette au bas de la falaise, d’établir un local de gardien (?) etc..
Le 28 février 2006, sous un soleil radieux mais glacial, un bulldozer blanc détruit sans vergogne les murs de la brasserie devant des passants et automobilistes médusés. Quelques jours plus tôt, un huissier assisté par les forces de l’ordre était venu expulser le dernier gérant des lieux qui se sera battu jusqu’au bout pour sauver son gagne-pain, certes, mais aussi une institution que beaucoup regrettent déjà.
Devenue orpheline, l’effigie de Zidane (2ème version) disparait dans les semaines qui suivent pour laisser apparaître une ancienne publicité vantant les bienfaits d’une marque de café, celle-là même qui était, peut-être, servie aux clients de la brasserie des Flots Bleus.