André de la Canebière

Il y a quelques mois, l’emblématique boutique André baissait définitivement ses rideaux après avoir chaussé des milliers de marseillais pendant près d’un siècle. Depuis la fermeture en 2022 de la pâtisserie Plauchut, André était devenu le plus ancien commerce de la Canebière (bien que son adresse officielle soit le 2 cours Belsunce, la boutique possède une façade sur celle-ci). L’occasion nous est donnée de raconter son histoire à travers les cartes postales du passé.

Jusqu’au début du XXème siècle, l’emplacement du futur André était occupé par la boutique de pipes Izouard, du nom de son propriétaire Gustave Izouard, un personnage haut en couleurs. Amoureux de la culture provençale et marseillaise, il avait fondé un cercle situé non loin de là sur le Vieux-Port et où se réunissaient tout ce que Marseille comptait de poètes, de peintres et d’écrivains. Ce cercle est à l’origine du Comité du Vieux-Marseille, qui défend et préserve encore de nos jours le riche patrimoine marseillais.

Carrefour Belsunce St Louis Noailles
Une vue en hauteur du carrefour (la carte contient une faute d'orthographe) constitué du cours St Louis, de la rue Noailles et du cours Belsunce. En face de la boutique Izouard remarquez, vue de profil et à peine visible au niveau du premier étage, l'horloge Zenith, qui "donnait l'heure à tous les marseillais" disait-on alors.
Le magasin Pipes-Izouard qui a précédé le chausseur André
Le même carrefour vu du sol, devant le magasin Izouard. La rue Noailles est l'ancienne appellation de cette partie de la future Canebière.

La date de l’arrivée de la boutique André sur la Canebière est incertaine. Certaines sources affirment qu’il s’agit de 1928. D’autres prétendent que le magasin de Gustave Izouard n’aurait pas survécu à sa disparition, en 1920 et que le chausseur aurait ainsi pris possession des lieux. Le site du journal Sud Ouest indique quant à lui qu’en 1906, la maison André s’implante dans douze artères les plus passantes des centres-villes. Marseille faisait-elle partie du lot?

Grand magazin André de Marseille
Sans doute la plus ancienne carte postale où l'on aperçoit l'enseigne André, et qui en est d'ailleurs le principal sujet. En quelle année sommes nous? Malheureusement, aucun indice (timbre, timbre à date, date manuscrite...) ne figure sur la carte.
Hiver 1929 sur la Canebière et devant la boutique André
Il est rare que les cartes postales mentionnent la date de leur prise de vue. Ce fut également le cas pour celles qui évoquaient le terrible hiver 1914...
Embouteillage sur la Canebière...jadis
Scène d'embouteillage ordinaire d'un milieu d'après-midi sur la Canebière, prise au niveau de la rue St Ferréol. Le magasin André a baissé son store clair pour protéger ses produits exposés en vitrine. La présence du bâtiment des Nouvelles Galeries en arrière plan indique que la prise de vue est antérieure à fin 1938.
Le cours Belsunce jadis
Une vue du cours Belsunce où se trouve l'entrée du magasin. Au loin nous apercevons l'immeuble situé à l'angle du boulevard Charles Nedelec et de la rue Antoine Zattara à proximité de la gare Saint Charles.

Nous sommes certainement ici à la fin de la dernière guerre mondiale: des panneaux sont écrits en langue anglaise, certainement destinés aux soldats américains et anglais qui se sont installés quelques temps dans la région. Par ailleurs, nous apercevons au loin le trou béant laissé par les Nouvelles Galeries, détruites en 1938. L’immeuble le remplaçant ne sera inauguré qu’en 1952. En haut à droite, la fameuse « horloge Zénith »

Une autre carte postale datant à peu près de la même époque que la précédente. André bénéficie de sa position centrale pour apparaitre dans de multiples cartes illustrant la Canebière. De la publicité à moindre frais…

Nous sommes toujours à l’intersection Belsunce-Canebière-St Louis sur cette carte un peu plus récente que les précédentes, avec  son agent de la circulation au pied d’un candélabre typique de la Canebière. Remarquez, sur la droite et masqué par le trolley-bus, le magasin de radio-phono Raphaël où nombre de marseillais ont acheté leur premier 45 tours…

Une vue en hauteur des lieux, datant sans doute de la fin des années 50 – début 60. A gauche, nous apercevons l’enseigne du magasin de prêt à porter féminin Muriel qui a ouvert ses portes en 1957 (et fermé en 1993). En face d’André, sur le cours Belsunce, le Bar Américain aujourd’hui disparu. Au fond, ce bâtiment sombre qui se détache devant le Vieux-Port est le Modern’ Hôtel le plus ancien de la Canebière (aujourd’hui sous le nom d’Escale Océania)

En 2013, André amorce un virage stratégique en se repositionnant sur un marché plus haut de gamme et modifie à nouveau son identité visuelle pour moderniser la marque. Les boutiques sont logiquement « relookées »: finies les boites à chaussures s’empilant du sol au plafond, place à des espaces plus épurés où les produits sont mis en valeur.

Nous sommes en 2004. Le tramway ne viendra qu’une dizaine d’années plus tard et la Canebière est encore entièrement dévouées aux automobiles. Le logo de la marque André a déjà évolué pour un style plus moderne à la couleur rouge carmin.

2014 – En cette fin d’été, le magasin a été entièrement vidé et les ouvriers s’affairent sur les murs extérieurs. Les passants inquiets se demandent quelle sera donc  la nouvelle enseigne qui prendra  possession des lieux…

Quelques mois plus tard, c’est un magasin flambant neuf et bien plus luxueux qui ouvre ses portes. Désormais, André n’est plus « Le chausseur sachant chausser » mais « Souliers de mode depuis 1900 ». La gamme des produits proposés s’est élevée, les prix également…Cette stratégie sera t’elle gagnante?

Cette nouvelle aventure ne durera que 10 ans. En 2024, la plus ancienne boutique de la Canebière,  qui a chaussé des milliers de marseillais petits et grands, ferme définitivement ses portes. Si l’enseigne ne disparait pas pour autant, il n’y a plus de magasin André dans la région marseillaise.

Après les pipes Izouard et le chausseur André, qui sera le prochain occupant des lieux? La municipalité semble prendre au sérieux la suite des événements et n’acceptera pas n’importe quel projet. Il faut dire que cet emplacement historique mérite mieux qu’une énième boutique de téléphones ou de services qui ont colonisé la Canebière et l’ont rendu impersonnelle et sans âme. La suite pour très bientôt….espérons le.