A la recherche d'un abri.

Durant la seconde guerre mondiale, afin de protéger la population marseillaise des bombardements ennemis, des caves d’immeubles se sont muées en abris anti-aériens. Une inscription « ABRI » était alors apposée près de la porte d’entrée. Alors que nous célébrons en août 2024 la libération de Marseille, se pourrait-il, 80 années après, que certaines de ses inscriptions soient encore visibles sur quelques murs d’immeubles de la ville? Pour le savoir, nous avons envoyé notre journaliste Calendau, toujours doté de son « regard d’étranger » et de son appareil photo,  parcourir la ville  à leur recherche…

Abri anti-aérien de la rue des frères Carasso Marseille
L'inscription de la rue des Trois Frères Carasso en 2012. Certainement la mieux conservée de la ville. (Tous droits réservés)

Devant la tâche immense qui m’attend, et pour optimiser mes déplacements, il me faut procéder avec un minimum de méthode. Les quelques recherches sur la toile me conduisent à ceci:
– Privilégier le centre ville et les voies comportant des bâtiments d’au moins 4 étages. En effet, les caves d’immeubles de moindre importance nécessitaient souvent des travaux de consolidation. Elles sont donc logiquement moins nombreuses.
– S’écarter des voies principales et touristiques pour se limiter au centre ville ancien. Les nouvelles constructions et les ravalements successifs des grandes avenues ont souvent eu raison de ces inscriptions devenues archaïques. La rue Paradis qui possédait de nombreux abris, mais dont plus aucune trace écrite ne subsiste, en est le parfait exemple.
– Se rendre du côté du quartier du Chapitre, où certaines de ces inscriptions auraient été repérées encore récemment. Sa proximité avec la gare St Charles, cible stratégique pour l’ennemi, en faisait en effet une victime collatérale potentielle. D’où la multiplication des abris anti-aériens.

Me souvenant d’une de mes photos prise en 2012, lorsque je travaillais encore pour le site vieux-marseille (voir photo ci-dessus), je décide de débuter mes recherches par la rue des trois frères Carasso, dans le quatrième arrondissement. Tram n°2, arrêt Cinq Avenues.

After
Before

← Arrivé sur place, c’est la douche froide. La mention ABRI a disparu sous une épaisse couche de peinture. Il est vrai que la présence de tags ne présageait rien de bon. Mon enquête débutait bien mal!

Pour rejoindre le quartier du Chapitre, j’emprunte ensuite l’ancien boulevard de la Madeleine, rebaptisé depuis boulevard de la Libération – Général de Monsabert (sous son commandement, la 3e division d’infanterie algérienne participera à la libération de la ville en 1944). La voie est bordée d’anciens immeubles susceptibles d’avoir possédé des abris et compte tenu de son nom, j’imagine que certaines traces du passé ont pu être préservées. Hélas, il n’en est rien, mais j’en profite tout de même pour prendre quelques photos. Et c’est bredouille que j’aborde la rue Clapier.

Par chance, je ne tarde pas à repérer ce premier signe du passé, sauvegardé malgré un ravalement qui semble assez récent. Remercions ces professionnels du bâtiment qui ont eu le tact de ne pas faire disparaitre ce témoignage écrit, alors qu’il leur aurait été beaucoup plus simple de donner un bon coup de pinceau, comme cela a été fait dans la rue des 3 frères Carasso.

C’est dans la rue de la Rotonde, au cœur même du quartier du Chapitre, que je fais la deuxième découverte. Il ne s’agit pas de la version originale, mais d’une inscription ABRI reconstituée après un ravalement total de la façade. L’utilisation d’une police de caractère plus « étroite » (narrow) et d’une taille réduite donne un résultat mitigé à mes yeux, mais l’intention est louable.
Comment se présentait cette façade avant les travaux de rénovation? Pour le découvrir, utilisons le formidable outil de voyage dans le passé de Google Maps. En mai 2019, un an avant les travaux, on peux en effet distinguer les deux dernières lettres en partie effacées du mot ABRI.

Après avoir fait le tour de la place Labadie et son jardin central, la plus « parisienne » des places de la ville, j’accède à la rue du Coq après avoir quitté celle de la Grande Armée. Très rapidement, je remarque ces quelques lettres se détachant d’un mur immaculé: comme précédemment, le mot ABRI a été reconstitué sur une façade d’immeuble fraichement rénové. Mais contrairement à celui de la rue de la Rotonde, la reproduction est bien plus fidèle. L’ajout d’un encadrement y est sans doute pour beaucoup. Du beau travail! Dans ce cas également, un rapide voyage dans le temps à bord de la machine Google Maps nous indique l’ancienne présence d’un écriteau sur ce même mur.

Il n’aura fallu parcourir que quelques mètres pour tomber nez à nez avec une inscription, certes en piteux état, mais cette fois authentique! Un petit tour sur la machine à voyager dans le temps de Google Maps nous révèle un détail intéressant: en 2010, une opération de ravalement est en cours au 19 rue du Coq. L’inscription ABRI va t-elle disparaitre à son tour sous une épaisse couche de peinture? Par chance, il semble qu’elle occupe une partie du mur appartenant au numéro 21, non concerné par les travaux. Il s’en est fallu de peu. Mais qu’en sera t-il la prochaine fois? Il est clair que cette relique de la dernière guerre mondiale vit ses derniers mois d’existence.

Quelques dizaines de mètres plus loin, une autre inscription m’apparait. Décidément, la rue du Coq recèle bien des trésors pour ceux qui prennent la peine d’ouvrir les yeux! Ici, il semble que l’on ait essayé de conserver la version originale, tout en « re-noircissant » les caractères. Le travail de restauration semble avoir été quelque peu bâclé…
Mais Google Maps nous en livre l’explication. Lors des derniers travaux de ravalement de la façade, datant de 2019, l’inscription « Abri » a bien fait l’objet d’une attention particulière pour sa conservation, comme on peut le voir sur ce document de février 2023 . Le résultat était plus que satisfaisant. Que s’est il donc passé? Il semblerait que cette façade était trop propre pour le rester et que des « tags » soient apparus. Si vous observez la première photo, vous constaterez que seul le bloc comportant les lettres ABRI a récemment été nettoyé, en essayant tant bien que mal de préserver la relique.

Il est temps de rentrer et de rejoindre l’arrêt du Tram des Cinq Avenues. Pour éviter de repasser par le boulevard de la Libération-Général de Montsabert, déjà emprunté à l’aller, je décide de contourner l’église des Réformés et d’emprunter la rue Monte Cristo puis la rue Marx Dormoy. Et c’est au numéro 14 que j’aperçois ces 4 lettres  capitales, à moitié effacée. Elles sont présentes depuis plus de 80 années. Vont-elles disparaitre dans les prochains mois sous une épaisse couche de peinture ou bénéficier d’une préservation lors des prochains travaux de ravalement?

La journée se termine, mais la « recherche d’un abri » continue. Je sais qu’il me faudra faire vite, car les jours de ces reliques sont comptés…

Le voyage temporel selon Google Maps

Nous connaissons tous l’outil Google Maps nous permettant d’arpenter les routes du monde entier (ou presque) sans quitter notre fauteuil. Depuis quelques mois, il nous permet également de remonter dans le temps et de revoir les lieux tels qu’ils apparaissaient quelques années auparavant (dans la limite de 2007, date des premières images françaises). Mieux encore, il nous permet même de faire des découvertes dans le passé qui n’existent plus de nos jours.
C’est ainsi que vous pourrez apercevoir cette vue du 22 rue de la Rotonde, datant de 2016 et sur laquelle on distingue encore une inscription ABRI partiellement estompée, inscription recouverte depuis.

Pour en savoir plus