La plage de la Pointe Rouge
Une carte postale à la loupe – Episode 1 –
Pour débuter la série « Une carte postale à la loupe » et découvrir les détails pas toujours perceptibles des anciennes cartes postales, rien de tel que d’évoquer ce lieu emblématique, un des endroits préférés des familles marseillaises: la plage de la Pointe Rouge.
Cette grande étendue de sable, située dans les quartiers sud de la ville, figure sur de nombreuses cartes postales anciennes. Voici l’une d’entre elle dont les détails que nous allons voir ensemble, nous permettront de dater la prise de vue, et même son heure…
Support:
Il s’agit d’une carte postale photographique au bromure, en noir et blanc et sur papier glacé. Les bords sont dentelés (cela n’apparait pas à l’écran). La carte est éditée par la société d’édition marseillaise Tardy, sous la marque ARY dont le logo apparait en bas à droite.
Thème:
La plage de la Pointe Rouge, prise en plongée à partir du parking qui la surplombe, en direction de l’Est. Peu de monde sur le sable, encore moins dans l’eau. On aperçoit au loin un bâtiment qui domine le paysage environnant.
Après ces présentations d’usage, sortons la loupe de son étui à la recherche de quelques détails intéressants…
1 – Le bâtiment sur la colline.
Le sommet de cette petite colline (le collet) de 45 mètres d’altitude, était occupé depuis le début du siècle dernier par un château. En partie détruit par l’occupant en 1943, il sera rasé pour laisser place à ce bâtiment jaunâtre de deux étages. Par habitude, les habitants du quartiers continueront à l’appeler « le château ». Au début des années 70, ce bâtiment est à son tour détruit et ce sont cinq petits immeubles qui prendront possession des lieux: la Résidence du Collet.
2 – Les graffitis
Sous la place de la Vieille-Chapelle à gauche, mais également sur un mur de l’avenue de la Pointe Rouge apparait la même inscription en lettres capitales. Celles-ci ont visiblement été raturées. On aperçoit également le sigle SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) qui désignait le parti socialiste jusqu’en 1969. Le nom raturé est celui de Daniel Matalon, un proche du maire d’alors, Gaston Defferre. Conseiller municipal puis conseiller général du département, il se présente aux élections législatives en 1958, où il sera battu, puis en 1962 avec succès. On peut penser que ces graffitis ont un rapport avec une de ses deux élections.
3 – Les baigneurs
Une famille se prélasse sur le sable. D’après leur tenue, il ne fait pas une chaleur étouffante. Le mistral, peut-être? La mer semble assez calme, même si la plage de la Pointe Rouge est plutôt bien abritée de ce vent du nord. Les parasols quant à eux, ne semblent pas être ballotés par le vent. Nous ne sommes certainement pas en plein été, mais plutôt en avant ou en arrière saison. La faible affluence de la plage semble d’ailleurs l’attester. Alors, printemps ou automne?
L’agrandissement de ces jeunes baigneurs va nous mettre sur la voie: leur bronzage prononcé semble indiquer une exposition prolongée au soleil d’été.
N’est-ce pas un cartable, posé contre la barque par le jeune homme en blue-jean et en chemise? Vient-il directement de l’école ou du collège? Nous serions donc en septembre. Ce qui est compatible avec les graffitis cités plus haut, les élections législatives ayant eu lieu en novembre 1958 et 1962. Le jour exact de la prise de vue restera inconnu. En revanche, cet élève sortant de classe va nous permettre d’écarter le dimanche, et le jeudi (jour de repos des élèves) et même le samedi. En effet, si à cette époque les cours avaient même lieu le samedi toute la journée, on peut penser que ce jour là, la plage aurait été quand même plus fréquentée.
Il nous reste à présent à déterminer l’heure de la photo. L’élève en blue-jean sortant de l’école nous donne une bonne indication. Mais il faut un élément irréfutable.
Ce sont ces enfants qui vont nous fournir cet élément irréfutable, ou plutôt, leur ombre. L’allongement et la direction de ces ombres en directions de l’Est indiquent que le soleil est en phase de déclinaison avancée. Il est sans doute aux alentours de 18 heures, ou plutôt 6 heures du soir, comme on disait à l’époque…
4 – Les restaurants
Deux restaurants sont visibles sur l’avenue de la Pointe Rouge qui surplombe la plage: le bar-restaurant La Frégate et celui de La Gaité. Ces deux établissements n’existent plus. Remarquez, à gauche de la Frégate, ce qui semble être un poste de Police.
5 – La plage
Nous voyons ici que la plage s’étend jusqu’à la place de la Vieille Chapelle (et ses graffitis) avec, à mi-chemin, des escaliers qui descendent directement de l’avenue jusqu’au sable. Au fil des années, la mer a grignoté ce bandeau de sable jusqu’à attaquer les constructions se trouvant à l’Est. Aujourd’hui, les rochers ont remplacé le sable fin. Quant aux escaliers, ils ont été condamnés par mesure de sécurité. Nous consacrerons prochainement un article sur la terrible transformation de cette plage au fil des années.
L’éditeur TARDY
Tardy est le nom d’une société marseillaise éditrice de cartes postales, aujourd’hui disparue. Ses publications concernent principalement la région provençale, même si on peut trouver des cartes pyrénéennes ou drômoises signées de l’éditeur. Tardy produit lui-même les épreuves photographiques qu’il revend, le cas échéant, à d’autres sociétés d’édition. Le verso de ses cartes postales font apparaitre plusieurs adresses de domiciliation successives
Si les premières cartes portent la mention Tardy, c’est sous le nom de Ary que l’éditeur publiera ensuite la plupart de ses produits.